[…] Il faut bien comprendre que l’homme est un être définitivement imparfait.
Et on pourrait se demander pourquoi Dieu, ou l’Ordre des choses, a inventé une créature qui n’est plus parfaite mais totalement imparfaite, et qui le sera définitivement !
Une première réponse se dessine : nous pouvons vivre avec notre imperfection ou nous pouvons passer nos journées contre notre imperfection, mais nous ne pouvons pas vivre sans notre imperfection.
Quand nous vivons contre notre imperfection, nous sommes la première guerre mondiale, celle à l’intérieur de nos poitrines : nous pensons et nous disons du mal de nous-mêmes, parce que nous ne supportons pas l’imperfection qui nous habite. Et c’est cette première guerre mondiale qui produit la guerre contre toutes les autres imperfections au-dehors.
Je vais vous donner une image pour vous le faire sentir…
Quand on se regarde dans une glace, la glace reflète le visage avec lequel on la regarde. Si le visage est rempli de jugement, de violence, la glace reflète ce jugement, cette violence. Eh bien, la nature, au-dehors, c’est comme une glace dans laquelle l’homme se regarde.
La pollution au-dehors reflète le mauvais sentiment que nous avons de nous-mêmes et que nous faisons payer à la terre. La violence que nous avons envers les autres n’est rien d’autre que la violence que nous avons envers nous-mêmes et que nous transposons dans des règlements de compte extérieurs.
Cela veut dire que les trois imperfections centrales qui nous habitent sont l’enjeu fondamental d’une première guerre mondiale qui dure dans nos poitrines… ou d’une première paix mondiale qui pourrait commencer dans nos poitrines ! Et tout se joue dans notre façon de recevoir, de supporter, d’aimer ou de détester ces trois imperfections qui, chaque instant, nous régulent en personnalité chronique et fidèle.
Il faut aussi comprendre la nature profonde de ces imperfections qui apparaissent dans l’espèce humaine.
Tous les autres règnes sont à peu près parfaits. Pourquoi la Vie a-t-elle inventé chez l’homme quelque chose d’aussi original que les imperfections chroniques invincibles ? Car elles sont invincibles ! C’est ce que les Chrétiens appellent « le péché originel », et qu’ils désignent aussi par le symbole de l’agneau égorgé : un agneau, c’est l’innocence, et « égorgé », cela veut dire que c’est insoignable, cela saignera toute notre vie. Je suis dysorthographique. Chaque fois que je prends un stylo, cette dysorthographie m’insupporte. Je peux bien vivre avec le dysorthographique et cela fera des livres ; je peux mal vivre avec le dysorthographique et mon stylo devient un poignard pour tuer quelqu’un. Je ne peux pas enlever le dysorthographique de mon histoire parce que c’était le seul moyen que le petit garçon avait trouvé pour que sa maman s’occupe de lui. Je ne peux pas le supprimer, je ne peux pas changer d’histoire.
Alors, on pourrait se demander à quoi sert cette nécessité d’être imparfait…
Ce n’est pas pour qu’on soit laids ! Mais si nous n’étions pas imparfaits, qu’aurions-nous à aimer ?
Le sentiment amoureux ne pourrait pas naître si nous n’avions rien à aimer. Imaginez soudain que le Créateur ait inventé d’autres formules de création de l’espèce humaine où il n’y aurait pas ces trois misères en nous, ces trois petits garçons ou petites filles du passé qui courent encore dans notre poitrine chaque fois que nous entrons dans un instant. Car chaque fois que nous entrons dans un instant, il y a au fond de nous un petit garçon – ou une petite fille – qui rentre avec nous dans cet instant. Il reste deux solutions. Ou bien on redit pour la énième fois à ce petit garçon : « Qu’est-ce que tu es con ! » Ou alors… pourrait-on essayer de lui dire autre chose ? Et si on lui disait « Pauvre petit garçon ! » Si, au lieu de dire du mal de nous-mêmes, on commençait à essayer de dire du bien ?
Et si nous avions ces trois imperfections chroniques, invincibles, pour nous apprendre à aimer ?
Car aimer nos qualités, ce n’est pas de l’amour, c’est simplement du bon sens. Mais aimer nos défauts, ça, c’est de l’amour ! Aimer nos laideurs, aimer nos misères, c’est de l’amour ! Cela s’appelle la miséricorde : se donner le droit à la misère.
Peut-être bien que l’art de la dépollution suprême, ce serait qu’enfin l’homme devienne miséricordieux. En supportant ses trois misères, ses trois imperfections, il n’aurait plus à être violent envers les autres et à salir la terre pour faire payer autour de lui son non amour de lui-même. Peut-être bien que tous les problèmes écologiques, tant que nous n’aurons pas réglé le problème du pollueur, sont voués à l’échec. Peut-être bien que tant que nous penserons du mal au-dedans, le mal existera au-dehors. Je crois qu’il ne sert à rien de combattre le mal : il faut lui opposer le bien.
J’aime tout ce que vous écrivez ! Je vais vous envoyer un texte plus étoffé !