Est-il possible que nous passions à travers huit classes d’expériences amoureuses pour apprendre à aimer Dieu en fin de compte ?
Est-il possible qu’à travers huit rencontres durant les sept âges de notre existence humaine nous fassions l’apprentissage d’un amour de plus en plus élevé aboutissant à l’amour le plus compliqué : celui entre la créature et son Créateur, au moment de mourir ? Car enfin, ne me dites pas que c’est simple, d’aimer Dieu. Ne me dites pas qu’aimer ce personnage, c’est facile ! Et d’abord, comment on s’y prend pour aimer Dieu ? Comment on le lui dit, comment on L’entend, comment cela se vit chaque jour, comment cela se goûte sans la tête mais avec le cœur, comment, comment, comment ? Mille « comment ? » qui prouvent bien que ce n’est pas si simple !
Alors, peut-être y a-t-il huit amours pour nous rendre capables d’aimer Dieu. Peut-être nous faut-il huit amours pour que le neuvième soit enfin l’Amour, avec un grand A, promis à l’espèce humaine-
Le premier de ces amours serait l’incroyable amour initial, entre une créature en train de naître et une matrice divine capable de la construire. Durant ce premier âge – l’âge intra-utérin – nous sommes invités à vivre une communion absolue, une fusion amoureuse totale nous faisant à la fois construire notre corps, ce chef-d’œuvre, et assister à la répétition du grand livre de la Connaissance récitant toutes les inventions de la Vie, toutes les nouvelles performances que la Vie a traversées pour que l’humain soit possible. Ainsi, durant 9 mois, assistons-nous au grand livre de la Vie sur terre traversant toutes les inventions des trois règnes précédents, à l’image de ce qui a eu lieu pendant la création de l’univers, pour que l’espèce humaine soit possible. Quinze milliards d’années revisitées en seulement 9 mois ! Un vrai paradis de symbiose amoureuse, un vrai paradis de communion avec le Créateur, un vrai paradis de Connaissance infinie pour construire ce chef-d’œuvre : nous-mêmes ! L’amour premier, l’amour entre la créature et son Créateur, l’amour vécu dans le ventre maternel, c’est un paradis destiné à être perdu. Car l’espèce humaine est ainsi : elle doit toujours être coincée entre un paradis d’amour perdu et une terre d’amour promise.
Alors voilà, bientôt on va être chassé du paradis ! Seulement parce que l’on va naître et que l’on va perdre un immense amour et se faire avoir avec des amours humains si insuffisants, quels que soient nos parents. Finie, la communion, finie, la symbiose : désormais nous sommes devenus imparfaits dans un monde imparfait, avec une maman et des humains imparfaits. Non mais, quel choc ! C’est précisément cela, le péché originel : rejoindre la nature humaine si imparfaite avec des parents si imparfaits. « Bon sang, comme je me suis fait avoir, » nous font dire les débuts du second amour. Et durant la petite enfance – de la naissance à la première scolarité – l’enfant va devoir s’étalonner sur un amour avec une maman-dieu, ou plus exactement avec une maman-soleil. Pas encore une maman séparée de lui tant qu’il n’aura pas prononcé « maman » pour la créer littéralement distincte de lui-même. Ce second amour est donc l’amour de la petite enfance, l’amour avec une maman-soleil si incontournable mais si nécessaire pour grandir en humanité, c’est-à-dire pour apprendre à parler et à marcher qui sont les deux expressions les plus grandes de l’amour de la petite enfance : parler pour dire les mots qui créent les choses au-dehors, marcher pour franchir la distance d’amour vers ce que l’on a nommé. De cet amour tout végétal va naître le besoin de s’orienter à la chaleur et à la lumière de l’amour, toute notre vie.
Et puis un troisième âge va nous inviter à un troisième amour, et c’est l’âge de l’enfance, entre la première scolarité et les premiers émois amoureux. Cette fois-ci, il faut un clan, une tribu dirigée par papa. Il nous faut un nom de famille et non plus le prénom que nous donnait maman. Cette fois-ci, l’amour nous impose de ressembler aux autres pour rester avec les autres. Pas moyen de faire autrement si nous voulons être reconnus dans le clan. Depuis qu’il y a l’école au-dehors, il faut encore plus la famille pour nous protéger, encore plus la famille pour que le dedans soit fort et rassurant. Étrange amour quand même, où il s’agit de ressembler mais aussi de se battre pour prendre sa place dans le groupe.
Étrange amour où à force de dressage pour être bien sage on finit par être à l’étroit comme dans le ventre maternel, avec une furieuse envie d’aller voir ailleurs pour être enfin soi-même. Alors des premiers émois vont nous sauver…
Avec le quatrième amour, déjà beaucoup plus facultatif, apparaît la notion de rencontre avec l’autre sexe, de couple choisi, comme s’il fallait désormais traverser le monde pour aimer une femme quand on est un homme, et inversement. Aimer l’autre, cela nécessite d’apprendre les mots et les gestes qu’il faut pour lui plaire, comme il avait fallu apprendre les mots et les pas qu’il faut pour bien vivre sur terre pendant la petite enfance. Aimer une ou un autre, c’est aussi sortir de l’étroite famille qui nous force à ressembler, pour devenir un peu plus soi-même en trouvant ses propres goûts, ses propres plaisirs, son propre orgasme, en quelque sorte chercher partout un « ça, c’est bien moi ! » qui désormais nous fait exister personnellement par différence plutôt que par ressemblance. Le mariage viendra couronner cette quatrième expérience amoureuse, mais le couple aussi deviendra bientôt un ventre trop étroit d’où il faudra sortir pour renaître ailleurs.
Ne l’oublions pas : sur six millions d’années d’existence de l’espèce humaine, il y a seulement 2000 ou 3000 ans que l’homme s’essaye à la vie en couple. Et même aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas sur toute la terre. Ce qui prouve bien que cet amour du couple est encore en voie de construction, que ce quatrième amour est encore une expérience de maturité à conquérir.

Gitta Mallasz et Bernard Montaud
Alors vous comprendrez aisément que le cinquième amour appartient déjà à la science-fiction, à l’avenir de l’histoire humaine, et qu’il est encore une rareté en attendant d’être banalisé par l’Histoire dans tout notre règne. Ce cinquième amour, c’est celui que chacun pourrait porter à un Maître ! Car chacun a un Maître sur terre, chacun a quelqu’un qui est plein exactement là où il est vide, chacun est en droit d’attendre un conseiller spirituel qui le rendra meilleur, chacun est capable d’un étage supplémentaire de l’amour : l’amour spirituel. C’est le dernier amour terrestre, et le premier amour mystique. C’est un amour charnière, où l’on peut apprendre non plus la complémentarité masculin-féminin, mais la complémentarité matière-lumière. Car enfin, le vrai Maître ne conduit pas à l’adoration de lui-même mais à la découverte du Maître intérieur : l’ange. Cet amour charnière entre les amours terrestres et les amours célestes sera un jour aussi naturel que le mariage aujourd’hui essaye de l’être dans l’espèce humaine. Cet amour avec le Maître sera un jour aussi important pour la réussite de nos êtres que tous nos amours précédents. Cet amour pour le Maître sera un jour la forme la plus élevée de l’amour terrestre. Et il dynamisera à son tour tous les amours précédents qui nous ont construits, et il enchantera l’amour d’une nouvelle dimension que seul cet amour peut procurer.
Alors un sixième amour apparaîtra sur terre, aussi incontournable que les précédents, aussi nécessaire à notre maturité amoureuse que les précédents, aussi nouveau que chaque amour précédent, et ce sera l’amour avec l’ange, l’amour avec le Maître intérieur, premier amour mystique avec un personnage céleste. Car seul l’ange-gardien peut nous conduire à notre Tâche sur terre. Seul l’ange-gardien est le gardien de cette terre promise à chacun où nous pourrons enfin servir, être utiles à la Vie sur terre, être utiles un peu plus loin qu’à notre seule famille. Chacun est venu sur terre pour remplir une mission, une Tâche, une utilité qui donne du sens à toute sa vie. Chacun a une terre promise d’un Service qu’il doit aux autres, et que seul l’ange connaît puisqu’il en est le gardien secret. Seule une vie de dialogues avec l’ange peut conduire chacun de nous à ce Service grâce à un amour Homme-Ange, un amour matière-lumière, qui est la sixième forme amoureuse qui attend l’espèce humaine. Un jour, les noces intérieures avec l’ange seront aussi banales et naturelles que les noces extérieures avec nos conjoints. Un jour, ce « faire l’amour avec l’ange » conduira chacun à sa Tâche, chacun à sa terre promise de Service. Un jour, l’amour Homme-Ange enfantera l’homme d’une Tâche à accomplir pour donner du sens à toute sa vie !
Alors un septième amour deviendra obligatoire, un amour avec le Christ, un amour avec le prophète qui concerne chacun. Et ce second amour mystique, c’est l’amour porté au fils de Dieu, comme pour se préparer à l’amour de Dieu lui-même. Après tout, qui aime le fils aime déjà un peu le Père ! Ce septième amour, un jour aussi naturel et aussi banal que les six autres, apportera à son tour une nouvelle maturité amoureuse à toute l’espèce humaine. Et si prier était tout un art amoureux avec le Christ (même quand on passe par Marie, sa mère, pour nous y conduire) ? Et si prier était un érotisme propre à l’amour religieux face au Christ ? Et si savoir prier, c’était savoir caresser le Seigneur et se faire caresser par lui ? Alors peut-être que l’Eucharistie serait un acte amoureux de pénétration mystique, tant l’ostie doit nous prendre tout l’être, comme l’orgasme envole seulement le corps. Et s’il existait un amour avec le Christ encore plus torride qu’avec l’ange, le Maître, ou notre conjoint ? Et s’il s’agissait d’une septième expérience amoureuse nous préparant à l’amour de Dieu, son Père ? Voilà pourquoi les prêtres et les religieuses ne peuvent pas se marier, car ils sont promis à un amour tellement plus grand, tellement plus intense qu’ils ne doivent pas se perdre dans les amours inférieurs. Et cela peut s’entendre.
Alors on peut comprendre le huitième Amour, l’amour avec un grand A ! Car il faut la maladie et la mort prochaine pour sacraliser cet amour, pour lui donner toute son ampleur. Il faut sans doute mourir bientôt pour être devant cette dernière expérience amoureuse entre le Créateur et sa créature. Et voilà, quelques minutes, peut-être quelques heures ou quelques jours avant la fin, il va bien falloir que la petite créature en train de perdre sa vie se retrouve devant un immense merci pour cette vie, un immense face à face les yeux dans les yeux avec Dieu, en mourant plein de reconnaissance. Ou alors se retrouver devant un amour final complètement raté, tant on meurt seul et sans Dieu, quand les mains sont accrochées aux draps, quand le corps refuse de partir, quand ça fait mal de mourir. Oh bon sang, comme il est compliqué, ce dernier amour ! Qui peut dire ce qu’il fera de sa mort : un amour avec Dieu, ou bien un orphelinat final ?
Et s’il fallait à l’humain ces huit amours, chacun incroyable, chacun magnifique, mais à des degrés de maturité de plus en plus élevés, pour qu’enfin la créature soit un Homme, un Homme Vrai, et non pas un apprenti amoureux…
Christophe
Voilà qui met un sacré sens à tous nos amours et à toute notre vie de quête amoureuse. Merci Bernard !
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